6. Le charisme totalitaire

Publié le par Amélie Dalmazzo

Le troisième type charismatique défini par Alexandre Dorna est « le charisme totalitaire », qui constitue également un charisme d'Etat. Le chercheur le distingue du césarisme et du populisme - que nous exposerons juste après - « en raison de sa nature intrinsèque, abominable et génocidaire »[1]. Car ce type de charisme est le fait de sociétés qui possèdent à leur tête « des leaders autoritaires au charisme paranoïaque et pervers »[2]. Il émerge dans des états totalitaires, au sein desquels toutes les institutions sont étatisées, où les contre-pouvoirs et « les instances de médiations directes entre les individus et l'autorité suprême sont abolis »[3].


Ce type de charisme ne peut naître que des dérives pathologiques du pouvoir, dans une société où la passion et l'irrationnel ont pris le pas sur la raison et la rationalité. Il est donc le reflet d'une sorte d'aliénation collective voire même, plus encore, il nous semble en être la manifestation la plus fascinante. Pour Dorna, ce totalitarisme exprime les « désirs sacrificiels d'assimiler les semblables, d'exclure les différents et de persécuter les insoumis réels et potentiels, en en faisant des boucs émissaires »[4].
 


Ce charisme est ainsi, à l'instar des autres formes de charismes, l'expression transcendée d'un désir collectif, d'un besoin manifeste. Il apparaît que ces sociétés, soumises à des tensions particulières, traversent une période de crise identitaire très forte. La nation semble divisée, les orientations futures paraissent un peu floues. L'unité nationale est alors menacée, le sentiment d'appartenance s'en trouve affecté. La nation nécessite un cadre qui lui permettrait de retrouver ses repères, de raviver les croyances, de résoudre les divergences. Elle a besoin d'un chef qui saura proposer une nouvelle direction et rassembler « la masse ». Ce climat bouillonnant fait surgir la crainte de l'éclatement, la crainte engendrant le déséquilibre, et le déséquilibre incitant chacun, et la société toute entière, à s'en retourner vers les valeurs sûres, celles qui nous fondent, celles de nos origines communes.



Selon l'étude de Martin Marty de l'American Academy of Arts and Science, Fundamentalism as a social phenomenon[5], les fondamentalistes « utilisent les traits du passé qui renforcent le mieux leur identité, qui conservent l'unité de leur mouvement, construisent des remparts et frontières et tiennent les autres à distance »[6]. C'est donc, ici encore, à travers la quête d'un retour aux origines (avant le brassage ethnique) que s'établissent les bases du charisme totalitaire. Et le but visé consiste à faire le tri entre le « nous » et le « non-nous », ces régimes organisant les plus incroyables épurations ethniques. Ce désir « d'épurer » une communauté, correspond à un désir de purifier la communauté de toute les différences interindividuelles qui engendrent les clivages et menacent l'unité nationale ou communautaire. C'est alors que, gouvernées par le désir d'être « Une », ces sociétés cèdent au fondamentalisme, au fanatisme, au nationalisme culturel et à l'instauration d'une autorité totalitaire capable d'imposer le consensus.

Ces constats établis par Alexandre Dorna nous semblent particulièrement instructifs en ce qui concerne les besoins et attentes spécifiques qui favorisent l'émergence d'une figure charismatique. Selon nous précisément, le besoin d'unité ressenti par une collectivité constitue un terrain précurseur au charisme. Mais il ne nous semble pas être le seul : le besoin d'une redéfinition des contours de la communauté, d'une réécriture de ses croyances et de ses principes sont également aptes à encourager les phénomènes charismatiques. D'une manière plus générale, nous pensons que le charisme survient dès lors que l'identité collective doit se réaffirmer.
Kosaku Yoshino souligne le fait que « le nationalisme culturel vise à régénérer la communauté nationale en créant, préservant ou renforçant l'identité culturelle d'un peuple lorsqu'on sent qu'elle manque ou qu'elle est menacée »[7]. De la même manière, l'étude américaine de 1988 sur le fondamentalisme religieux[8] montre que les « adeptes » du fondamentalisme agissent toujours en réaction à une menace réelle ou ressentie sur leur identité. Cet aspect réactionnaire, qui laisse envisager une formation défensive, constitue une dimension importante qui se révèlera très utile pour comprendre les phénomènes fans et fanatiques.


[1]Dorna.- Le leader charismatique.- Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 61.

[2] Ibid., p. 62.

[3] Ibid., p. 63.

[4] Ibid., p. 64.

[5] M. Marty.- « Fundamentalism as a social phenomenon ».- Bulletin of the American Academy of Arts and Sciences, vol. XLII, November 1988, p. 15-29.  

[6] A. Dorna, op. cit., p. 64, (en référence à M. Martin).

[7] K. Yoshino.- Cultural nationalisme in contemporary Japan.-  Londres : Routledge, 1992

[8] M. Marty, op. cit.

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