8. Le charisme présentiel (concept A. Dalmazzo)

Publié le par Amélie Dalmazzo

Nous avons évoqué un type de littérature[1] issu de la vogue récente du développement personnel, littérature qui n'est pas scientifique en général, mais qui se consacre au charisme d'un individu quelconque, qui s'exercerait par le biais du corps, sur un entourage entretenant avec lui une relation directe. Afin de rendre compte de ce type spécifique de charisme ainsi qu'il est évoqué dans ces ouvrages, nous voulons proposer un nouveau concept, celui de charisme présentiel. Nous voulons développer ici ce concept pour désigner, de manière générale, le charisme d'un homme se donnant à voir par le biais du corps, au cours d'une interaction directe avec les publics, et qui n'est pas corrélative de l'occupation d'une fonction charismatique.


Autrement dit, il s'agit d'un charisme que l'on attribue à un homme dont l'image nous est livrée par la présence du corps, en général lors d'une interaction directe et non médiée. Nous l'avons dit, c'est à ce type de charisme que nous renvoient les ouvrages de développement personnel. Ces derniers ne proposent aucun fondement théorique, aucune définition susceptible de nous fournir les bases d'une pensée scientifique. Aussi, nous choisissons de nous intéresser aux champs lexicaux qu'ils déploient afin de bâtir notre réflexion.

Ce qui nous frappe en premier lieu, c'est le recours à des notions secondaires telles que « l'aura », « l'énergie », « le rayonnement », « la présence »[2], pour qualifier ce type de charisme. Il apparaît que ces notions, toutes aussi abstraites que celle de « charisme », renvoient à des phénomènes non observables et difficilement quantifiables. Aussi nous pouvons procéder par analogie pour mieux comprendre ces notions. Le charisme dont il question dans ces ouvrages est le type de charisme qui nous fait dire d'un individu « qu'il a beaucoup de présence ». Celui-ci peut alors être décrit comme un individu « remarquable », ayant beaucoup de « prestige » ou de « densité ».



« L'énergie » qu'il dégage est telle qu'on ne peut l'ignorer. Il « rayonne », il nous « attire » inexorablement. Le charisme présentiel renvoie à un contenu indéfinissable car précisément insaisissable. Pourtant, que l'on s'arrête un instant sur ces comparaisons et on s'aperçois qu'elles sont riches de sens. Tout d'abord, le fait de parler de densité ou de présence s'oppose immédiatement à l'idée du vide, de l'inconsistance et de l'absence. Quand on parle d'un charisme présentiel, on imagine un individu qui « s'impose » à nous[3]. L'individu qui a de la présence est en réalité « plus que présent », il « habite » totalement son corps, il se « canalise », se rend « réel ». Il donne de la densité au corps qu'il habite. La « densité charismatique » consisterait donc à donner plus de « masse » au corps en donnant du corps à ce qui s'en abstrait. Il s'agirait de donner corps à une « énergie impalpable », de lui permettre de s'incarner.

Le charisme présentiel constituerait ainsi la transformation d'une abstraction, d'une énergie immatérielle en quelque chose de palpable, de communicable, et qui s'aborderait à travers le ressenti, le subjectif. Incorporation, matérialisation, réalisation d'une énergie ou d'un « soi », le charisme présentiel apparaît comme une force qui s'incarne dans la matière, qui fait passer du vide et de l'absence à la présence et au tout. A considérer la question sous cet angle, il ne nous étonne guère que la notion de charisme soit emprunte d'un caractère « extraordinaire », d'une dimension « surnaturelle » ou « sacrée ». Comme le rappelle Bernard Lhôte : « le mot charisme dégage une forte connotation sacrée».


En grec, kharisma signifie la grâce, la faveur »[4]. De plus, « dans le mot charisme est contenu le mot « charme » qui vient du latin carmen : « chant » et signifie par extension oracle, formule magique »[5]. Le charisme est donc toujours une opération mystérieuse, si mystérieuse qu'elle est immédiatement associée au divin. Cette opération, ce processus, fait naître quelque chose, rend évident ce qui était caché, matérialise une abstraction pour la rendre palpable, ou tout du moins perceptible. Les figures charismatiques sont toujours des images révélant aux individus les désirs et problématiques inconscients qui les animent.

Une seconde analogie peut également être analysée et se révéler porteuse de sens, il s'agit de celle « du rayonnement ». A ce sujet, deux interprétations peuvent faire sens. D'un point de vue topique d'abord, le fait de parler de rayonnement renvoie à l'idée d'une impulsion interne qui se propage vers l'extérieur, aussi impalpable qu'une onde mais toute aussi réelle. L'énergie, après avoir pris corps, sait s'affranchir de ce dernier pour rayonner tout autour de lui. Elle émane. Quelque soit la nature de cette onde, elle implique un passage de l'intérieur à l'extérieur, d'un individu à un autre. Elle est une prise de contact avec l'autre.

  

On peut également percevoir ce rayonnement d'un point de vue dynamique, et les perspectives changent. Dans cette dynamique, et pour emprunter une image à l'astrophysique, l'énergie ne rayonne pas autour d'elle mais l'effet de sa matérialisation produit un effet d'attraction sur l'autre. La densité d'un individu est telle qu'il développe une véritable force d'attraction. De ce fait, tout individu de « densité moindre » se sentirait « attiré » par ce charisme. C'est ainsi qu'il arrive à certains d'évoquer le « magnétisme » lorsqu'ils désignent le charisme présentiel.

Pour dire les choses sous un angle psychologique, un individu qui réussit à se réaliser[6] intrigue, fascine, force l'admiration de ceux qui ne parviennent pas à se réaliser. L'idée de « rayonnement » cacherait alors derrière elle celle de la fascination, celle de l'idéalisation[7], mais aussi celles de la projection et de l'identification[8]. Elle serait alors à prendre au sens de ce qu'elle suscite chez le récepteur, et renverrait directement à son attachement, à son enthousiasme, à sa passion[9] pour l'être charismatique. Cette passion pour un autre charismatique est d'ailleurs souvent évoquée pour décrire la nature des sentiments qui animent les fans à l'égard de leur « idole ».

    

Quel que soit le point de vue que l'on adopte, deux choses nous frappent. La première réside dans le fait que le charisme présentiel implique forcément une « rencontre » avec l'autre - ce qui se produit également pour tous les autres types de charismes. La seconde, plus extraordinaire, réside dans la nature de ce contact qui qualifie le mieux la nature du charisme. C'est pourquoi nous étudierons, tout au long de ce travail, le charisme comme une interaction où chacun des acteurs de la communication participe, à sa manière, à la construction du phénomène.

Par ailleurs, tous les manuels de développement personnel qui traitent de notre sujet partent du principe que le charisme présentiel se développe, et que l'on peut aisément s'y exercer. Nous irons plus loin en disant que cette forme de charisme résulte, sans doute, d'un long processus de recherche, d'acceptation et de réalisation de soi. Car se réaliser, c'est faire exister son être dans la réalité, c'est s'accomplir. Et s'accomplir, c'est aller au bout de soi, c'est se rendre complet, c'est faire le lien entre tous les antagonismes présents en nous, qui nous divisent et nous rendent multiples. C'est réussir une harmonisation de soi, une union cohérente entre le psychisme[10] et le corps. 


[1] Cf par exemple : T. Alessandra.- Développez votre charisme : 7 moyens pour y parvenir.- Paris, Editions de l'Homme, 1999. ; P. Guerin.- S'eveiller aux vibrations positives.- Paris, Editions Trajectoires, 2006.; C. Hills.- Cultivez votre charisme.- Paris, Editions d'Organisation, 2005.

[2] Voir par exemple : B. Lhôte.- Les charmes du Charisme. Pouvoir et tentation.- Paris, Desclée de Brower, 2000 ; et G.-D. Farcy et R. Prédal (dir.) -Brûler les planches, crever l'écran. La présence de l'acteur.- Actes de colloque organisé du 13 au 15 janvier 2000 à l'Abbaye d'Ardenne par le CREDAS, avec la collaboration de L'IMEC et du CNRS, Saint-Jean de Vedas, L'entretemps éditions, 2001.

[3] Il n'est pas rare d'entendre à ce sujet que cet individu est « imposant », ou qu'il « en impose ».

[4] B. Lhôte, op. cit., p. 75.

[5] Ibid., p. 75.

[6] Par l'emploie du terme « se réaliser » nous entendons ici la réalisation des désirs personnels.

[7] Sur la fascination et l'idéalisation, cf Partie I, Chapitre 1, Le charisme et le narcissisme.

[8] Sur la projection et l'identification, cf Partie I, Chapitre 2, Identités, identifications.

[9] Sur la passion du fan, cf Partie III, chapitre 1, Fanitudes et fanatismes, propositions théoriques.

[10] Nous parlons de psychisme pour designer le lieu dans lequel réside l'appareil psychique. Dans l'article « Métapsychologie » (1915) Sigmund Freud a défini l'ensemble de ses conceptions théoriques sur le fonctionnement de cet appareil psychique. Selon lui, cet appareil possède « la capacité de transmettre et de transformer une énergie déterminée » et est différencié « en systèmes ou instances » (J. Laplanche et J.-B. Pontalis, op. cit., p. 32). D'une manière générale, le terme « psychisme » désigne l'ensemble des processus conscients ou inconscients qui relèvent du fonctionnement de l'esprit (mental et affect).

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