9. Le charisme médiatique (concept A. Dalmazzo)

Publié le par Amélie Dalmazzo

Dans le cas du charisme qui opère au moment d'une relation directe, il s'agit d'une image de soi donnée aux autres par le corps au cours d'une interaction sociale. Mais dans le cas du charisme que l'on attribue à un homme avec lequel on n'a aucun échange direct, il s'agit d'une image mise en scène et séparée de la présence du corps, donnée à un public lors d'une interaction médiatique.[1] Aussi, il nous paraît important d'exposer ici un autre type de charisme, qui constituera véritablement le cœur de notre étude. Il s'agit d'un charisme construit volontairement par l'émetteur, d'une construction langagière, donnée en partage sur la scène médiatique, d'un acte de communication.

Cette forme de charisme s'exerce par le biais des images et des discours médiatiques, c'est pourquoi nous proposons de le nommer charisme médiatique. Cette forme spécifique du charisme peut s'articuler avec un ou plusieurs autres types de charisme. Un homme au charisme présentiel peut par exemple accéder à une fonction charismatique et ensuite bénéficier d'un charisme médiatique. Mais le charisme médiatique peut aussi s'affranchir de toute autre forme de charisme. Un homme, qui n'exerce aucune qualification charismatique et qui ne dispose d'aucun charisme présentiel, peut construire entièrement son image, et se fabriquer de toutes pièces un charisme médiatique. C'est ainsi que procèdent, par exemple, certains dictateurs ou certaines stars pour instaurer un culte autour de leur personnalité, et devenir ainsi des figures charismatiques.  


Nous choisissons de poser ici le concept de charisme médiatique pour les raisons suivantes. D'abord, parce qu'il évitera tout type de confusion possible avec les concepts du charisme définis précédemment. A la différence de Max Weber ou de Alexandre Dorna, nous n'étudions pas le charisme à travers le prisme de la domination ou du pouvoir, mais sous l'angle de la croyance et de la fascination. C'est conséquemment à ce choix que nous préférerons utiliser les termes de « figure charismatique » ou de « leader »[2] plutôt que celui de « maître »[3].

La seconde raison réside dans le fait que cette expression renvoie directement à l'idée d'une construction du langage, d'une construction de l'image d'un individu, plutôt qu'à « un don », « un talent » ou à un charisme présentiel. La figure charismatique vit par la représentation. Elle est une image avant d'être le fait d'un individu réel. Plus encore, elle est un personnage, appartenant au monde imaginaire, dont le but est de faire croire à son entière réalité. 

    

 

Ces figures charismatiques constituent donc des constructions du langage vouées à susciter la croyance des communautés et des individus qui les affectionnent. Une problématique s'esquisse alors : comment ces figures charismatiques parviennent-elles à susciter la croyance ? Quels sont les discours que véhiculent et articulent ces constructions langagières ? Quels paradigmes mettent-ils en œuvre ? Pourquoi et comment ces discours et ces paradigmes font-ils écho aux croyances et aux besoins des groupes, tout en répondant parallèlement aux désirs et aux problématiques identitaires des individus? 

Nous nous proposons de répondre à ces interrogations en formulant les hypothèses suivantes : le charisme répond aux besoins identitaires et aux désirs narcissiques des groupes et des individus. En se proposant comme supports identificatoires et/ou comme emblèmes, les figures charismatiques permettent à ces acteurs de mettre en œuvre des stratégies identitaires[4]. Elles sont donc des figures constructives. Supports pour l'étayage identitaire de certains individus, elles jouent également un grand rôle dans la constitution des groupes. Enfin, en incarnant l'idéal des individus, les figures charismatiques font naître l'illusion d'une réalisation possible de leur fantasmatique inconsciente, de leurs désirs les plus irréalisables : atteindre la toute-puissance. En ce qu'elles font croire qu'elles parviennent à réaliser l'impossible, les figures charismatiques deviennent alors éminemment fascinantes.


[1] Nous parlons d'« interaction médiatique » pour souligner les apports du récepteur dans l'élaboration du sens des messages médiatiques.

[2] Ici le terme de leader est entendu au sens de « leader d'opinion », du meneur de groupe.

[3] M. Weber.- Sociologie des religions.-Paris, Gallimard, 2006.

[4] Cf C. Camilleri et Al.- Stratégies identitaires.- Paris, PUF, 2e édition, 1997. 

 

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