Michael Jackson : une figure pour l'identification (1) : être d'ici et de Partout (analyse de Black Or White)

Publié le par Amélie Dalmazzo

Michael Jackson est une star internationale qui doit montrer sa similitude avec les différents publics qu’il convoite, afin que chacun d’entre eux se reconnaisse en lui.
Le public du chanteur constitue une communauté qui regroupe des individus aux profils culturels et sociologiques hétérogènes. Leur rassemblement ne s’avère possible que parce que chacun d’entre eux s’identifie à Michael Jackson : le chanteur constitue alors une figure fondatrice pour cette communauté particulière, le pivot essentiel autour duquel s’articule leur identité commune. Ensemble ils fondent ce que nous proposons d’appeler une communauté de charisme.

A la différence d’une figure qui voudrait représenter une communauté culturelle ou sociale spécifique (comme cela peut être le cas généralement d’un leader politique, par exemple, ou d’un chanteur incarnant un groupe social lui préexistant), Michael Jackson doit permettre l’identification d’individus appartenant à différentes cultures). Autrement dit, il doit être capable de définir, puis de maintenir l’identité de la communauté de croyance qui le soutient, de sa communauté de charisme.

Afin de parler à la diversité culturelle et de séduire autant l’européen, que l’asiatique ou l’africain, Michael Jackson doit, en premier lieu, signifier son appartenance à chacune des cultures, sa filiation vis-à-vis de chacune des histoires nationales dans lesquels évoluent ses publics potentiels. Pour ce faire, il s’appuie sur la portée transnationale des industries culturelles et des médias, composant des clips et des musiques aptes à séduire le plus grand nombre.

Précisément, il met en œuvre des productions au sein desquelles il injecte des symboles transnationaux incontournables et accessibles à tous, piochés dans les récits de l’histoire mondiale. Le chanteur s’intègre à une culture hybride, métissée et globale, dont il se fait le porte drapeau. Il revendique son appartenance à chacun des peuples qu’il espère séduire, à chacune de leurs cultures, en déployant une large gamme de références culturelles.

1. Etre d'ici et de Partout
 

Cette stratégie nous semble particulièrement évidente dans la première partie du clip Black or White. En effet, dès les premières minutes du clip, le chanteur use de références évidentes qui appartiennent à diverses civilisations. Il évolue dans des décors contrastés, reconstituant l’ambiance des différents continents. De même, le chanteur s’entoure de personnages stéréotypés, représentants emblématiques des différentes cultures.


Lorsqu’il apparaît pour la première fois à l’image, il danse ainsi avec les membres d’une tribu africaine[1], et rappelle à chacun les origines tribales de toutes les sociétés. Puis, il fait quelques pas avec des danseuses dont les tenues peuvent rappeler celles de Krishna, et signifier l’ensemble des civilisations asiatiques. Ensuite, il apparaît avec quelques amérindiens, vêtus de leur traditionnelle coiffe en plume et qui  simulent une bataille à cheval et une attaque de diligence. Successivement, il se montre avec une danseuse indienne, vêtue d’un sari traditionnel, puis avec des danseurs russes, exécutant une chorégraphie sous la neige devant une reproduction de la Basilique de Basile le Bienheureux[2]. Enfin, c’est en tant que chef d’un gang d’enfants New-Yorkais, interprétés par quelques guest-stars américaines telles que Mac Cauley Culkin[3], qu’il se met en scène.


Entouré de ces personnages emblématiques, Michael Jackson effectue plusieurs pas de danse inspirés des danses locales et traditionnelles. Il démontre en cela qu’il n’est pas un simple visiteur et que, bien plus qu’un voyageur, il a fait réellement l’effort de s’adapter à la culture locale. Plus encore, sa présence systématique au centre de l’image, la position de leader qu’il adopte vis-à-vis des personnages qui l’accompagnent, montrent qu’il est pour chacun d’entre eux un maillon essentiel de leur communauté, un emblème signifiant de leur culture.


Dès lors, Michael Jackson semble appartenir à chaque lieu. Il fait partie de chacune des civilisations qu’il met en scène. Il est à proprement parler le légataire de chacun de leurs héritages et le relais assurant la transmission de leur histoire aux nouvelles générations. Chaque lieu, donc, est un « ici » qu’il habite et dont il fait partie. Mais à montrer qu’il habite autant le « chez nous » que le « chez eux », Michael Jackson montre surtout qu’il est véritablement de partout. Ce faisant, il suggère qu’il est apte à sortir chaque membre de son public des carcans de sa propre culture, pour lui permettre de rencontrer l’étranger et de s’y lier.

Plus encore, en étant à la fois « ici et ailleurs », le tout au même moment, il suggère qu’il possède un incroyable don d’ubiquité. Cette qualité, à n’en pas douter, saura convaincre chacun de sa formidable puissance. Cette sensation se trouve particulièrement renforcée par l’absence de tout procédé visuel opérant la transition entre les différents univers où il se montre. D’une séquence à l’autre, aucun fondu, aucun travelling[4] ne traduit le déplacement du chanteur. Il semble alors bel et bien capable d’être à plusieurs endroits simultanément. Et à vrai dire, l’absence de transition nous semble logique, car la transition d’un espace à l’autre, d’une culture à l’autre, c’est précisément la star qui l’opère. Par son intermédiaire, l’africain peut entrer en contact avec l’asiatique, comme le suggère l’irruption de la tribu africaine dans le décor des danseuses asiatiques.


Et, signifiant ainsi l’ampleur de sa notoriété, il devient un pont, un lien entre chaque civilisation. Il les met en rapport les unes avec les autres, et transforme encore l’étranger en familier. Plus précisément, Michael Jackson est un trait d’union, un connecteur. Il porte en lui « l’humanité toute entière » et, de ce fait, il peut lui rendre son unité, mener le monde à l’harmonie.

Par son intermédiaire, il nous est enfin possible de nous reconnaître les uns les autres, de nous trouver semblables tandis que nous sommes différents : il facilite l’identification horizontale. Michael Jackson, donc est un « homme transfrontière » qui sait passer outre les clivages. Il est le « passe-muraille » qui, comme l’illustre l’une des séquences du clip (tandis qu’il chante du sommet de la statue de la liberté), nous permet d’entrevoir, derrière lui, un large panorama de civilisations. Dans cette séquence, Michael Jackson figure devant Big Ben, La Tour Eiffel, Le Parthénon, Le Taj Mahal, le Sphinx, la Basilique de Basile le Bienheureux, la Mosquée Sainte Sophie d’Istanbul, le Golden Bridge et une cité de lumière – réécriture moderne du phare d’Alexandrie.[5] 


Michael Jackson, tel un « poisson pilote », nous guide alors à travers les espaces. Il est « l’homme pivot » qui permet la cohabitation pacifique de communautés hétérogènes, celui qui transforme la différence radicale en ressemblance évidente. Car derrière l’appel à la fraternité et à la réconciliation qu’il lance avec cette chanson, la star s’incarne en un maillon essentiel d’une chaîne qui ne peut pas se rompre. Cette chaîne, c’est celle par laquelle tous les hommes sont liés, cette identité qui dépasse toute forme d’altérité, celle d’un « universel » propre et spécifique à la race humaine.

 

voir la suite : Michael Jackson : une figure pour l'identification (2) : Provenir d'Ailleurs et de Nulle part (Analyse de Brace Yourself)


[1] Les maquillages de cette tribu pourraient également évoquer les aborigènes et faire référence à l’Australie.

[2] Haut lieu touristique et féerique située sur la place rouge de Moscou, autrement nommé Cathédrale de l'Intercession-de-la-Vierge ou Sainte Basile.

[3] Interprète principal du célèbre film américain Maman, j’ai raté l’avion ! réalisé par Chris Colombus en 1990.

[4] A l’exception de la séquence où il danse avec la tribu africaine, qui est reliée à la suivante par un travelling montrant le chanteur et les danseurs courir jusqu’au plateau voisin où se trouvent les danseuse indiennes.

[5] Il nous semble plausible d’évoquer une réécriture moderne de la cité d’Alexandrie étant donné qu’une pyramide se trouve au cœur de cette ville – derrière la flamme de la statue de la Liberté.

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