De la monstruosité médiatique de Michael Jackson aux affaires de pédophilie.

Publié le par Amélie Dalmazzo

Nous constatons que les transformations physiques du chanteur s’accompagnent de toutes sortes de suspicions sur la bienséance et la moralité de ses mœurs. Les accusations de pédophilie à l’encontre du chanteur apparaissent précisément à partir du moment où l’idéalité de Michael Jackson commence à glisser sensiblement vers la monstruosité. En effet, à la fin de l’année 1993, le chanteur endure la première affaire du genre – l’affaire Jordan Chandler – or cette époque est précisément celle où tous les scandales majeurs de sa carrière retentissent[1]. Mais c’est la seconde affaire, impliquant la famille Arvizo en 2003 et qui donne lieu à un procès en 2005, qui sera le moment décisif dans la transformation des perceptions publiques du chanteur. Pour illustrer ce phénomène, nous analyserons ici plusieurs représentations exemplaires.

 

La première représentation, qui nous semble témoigner de ce que la hideur physique du chanteur s’accompagne de l’attribution d’une hideur morale, est la couverture du pamphlet français Bad, Michael Jackson : le mutant, écrit par Jean-Paul Bourre.

Ce livre, publié en 2003, à l’heure où éclate la seconde affaire de pédophilie, relate toutes les rumeurs qui ont entourées l’affaire avant que ne s’ouvre le procès. Les accusations calomnieuses (finalement reconnues comme telles par le jury en 2005), sont ici présentées comme des faits avérés : les témoignages sont particulièrement sordides et quelques propos, purement spéculatifs, voir même mensongers, témoignent de la volonté des médias de ternir l’image du chanteur.

La couverture de l’ouvrage, présentant un portrait de Michael Jackson particulièrement inquiétant, est significative. Le titre du livre, Bad, Michael Jackson : le mutant, insiste sur la hideur physique du chanteur, mais aussi sur sa part obscure. En effet, le mot anglais Bad – qui est aussi le titre de l’un des plus gros succès commerciaux du chanteur – signifie « mauvais, méchant ».

La couleur rouge et la police aux contours mal dessinés employées pour écrire ce mot semblent vouloir rendre compte de la dangerosité de la star. Il est un personnage aux contours mal définis, une personnalité troublante qu’il est difficile de cerner. La photo de couverture elle-même le suggère : le personnage en très gros plan déborde des cadres de l’image, comme il déborde sans doute des « cadres de l’acceptable ». Il est le monstre qui sort des cadres référentiels fixés par la norme et simultanément celui que la fonction symbolique ne parvient à saisir, en l’enfermant dans un mot.

De même, la photo met en lumière la moitié du visage du chanteur, laissant de fait l’autre moitié dans l’ombre : cela suggère l’aspect duel de Michael Jackson, personnage bi-face qui fait autant figure d’idéal que de monstre. Par ailleurs, l’association du mot « Bad » à celui de « mutant » laisse envisager un lien étroit entre le physique du chanteur et la moralité douteuse qu’on lui prête. A ce titre il est intéressant de constater que c’est précisément le nez de Michael Jackson qui est au centre de la page. Le fait que la lettre « a » du mot « Bad » encercle la pointe de son nez attire plus encore l’attention sur cette partie de son visage.

Or le nez du chanteur, justement, fait l’objet de toutes les moqueries et de toutes les critiques : exemple principal de ses transformations excessives, c’est toujours par le biais de son nez que l’on désigne la monstruosité du chanteur. Cette mise en page nous rappelle également les rumeurs retentissantes du milieu des années 1990 qui laissaient entendre que le chanteur avait « perdu le bout de son nez ». Cette couverture suggère dès lors clairement que Michael Jackson est bien à l’image du monstre diabolique, qui sous l’apparence du démon « porte son âme sur sa figure ».  

 

Une seconde représentation semble, selon nous, aller dans le sens d’une telle analyse. Il s’agit de la Une d’un magazine gratuit américain, RedStreak[2], datant du 14 juin 2005 et annonçant l’acquittement du chanteur par la justice américaine. Cette couverture est à l’image de la perception que les publics et les médias ont du chanteur durant le procès de 2005 et de leur réaction à l’annonce du verdict : Michael Jackson est coupable, cela ne peut en être autrement. Il est le malfrat qui a réussi à se soustraire à la justice, un homme richissime qui, de ce fait,  « invincible ».

De nombreux éléments de cette couverture suggèrent que Michael Jackson est coupable. Tout d’abord son attitude : il regarde en biais légèrement vers le bas, suggérant que le chanteur s’esquive lorsque qu’on lui fait front, qu’il se soustrait à toute confrontation, ou encore qu’il ne souhaite pas trahir, par un regard direct, la « vérité coupable » qu’il cache à la justice. Plus encore, son regard semble nous guider vers son avocat Thomas Mesereau, qui apparaît au second plan.

C’est lui qui s’occupe de sa défense et qui parle à la presse. L’avocat, ici homme de second plan, au visage légèrement flou, est caché aux deux tiers par le chanteur et le titre de la revue. Cette mise en scène suggère que l’avocat œuvre dans l’ombre, en coulisse, et que son implication n’est pas claire. Il est, en quelque sorte, le reflet de la stratégie calculatrice et non avouée du chanteur. C’est à lui que Michael Jackson doit sa porte de sortie : il est le complice inavoué au regard coupable. 

Par ailleurs, cette couverture établit un parallèle très clair entre la figure du Joker, ennemi juré de Batman, et Michael Jackson. En effet, nous remarquons la présence du justicier Batman en haut à droite de l’image. Sa petite taille suggère qu’il s’est fait dépasser par l’habilité du Joker - Michael Jackson. Dans les aventures de Batman, le Joker – qui est bien trop puissant pour se faire intercepter par la police et par la justice de Gotham City – est poursuivit par Batman, qui semble être le seul apte à le stopper. Cependant, il n’est pas rare qu’il réussisse à lui échapper.


L’histoire que le Redstreak nous raconte ici fait, semble-t-il, le récit d’un tel échec : le Joker est trop fort pour se faire démasquer. Michael Jackson continuera ainsi à taire la réalité de son personnage en se cachant derrière le masque de la célébrité et de l’idéalité. A ce propos, il est intéressant de rappeler que le Joker est un personnage défiguré par l’acide : il est monstrueux. Mais cette monstruosité, comme Michael Jackson, le Joker la cache derrière un maquillage épais apte à le transformer en figure doucereuse : il se montre sous les traits du clown et, comme le Michael Jackson des débuts que l’on surnomme Bambi, il parait inoffensif, semble être « l’ami des enfants ».

Le Joker d’ailleurs est un personnage qui renvoie très fortement au monde de l’enfance : ses armes se présentent toujours comme d’énormes cadeaux de Noël ou comme des jouets aux couleurs acidulées. Michael Jackson aussi, nous l’avons vu, renvoie au monde l’enfance : il possède un parc d’attraction et se fascine pour l’univers du dessin animé. La comparaison que le Redstreak fait entre ces deux personnages laisse entendre que comme le Joker, il déguise en jouets innocents les pièges qu’il adresse à ses victimes. Ce faisant, le voilà dans l’accoutrement du parfait pédophile : se montrant sous le masque de l’idéalité, comme le Joker, il est en fait le double monstrueux qui peu à peu se révèle au grand jour. Le Redstreak nous dit alors que, comme le Joker qui porte un maquillage de clown, le chanteur continuera à faire illusion et à séduire les plus naïfs (les enfants ?). Comme le Joker qui adopte un surnom, il continuera à cacher sa véritable identité et son véritable visage au reste du monde. A ne pas en douter, pour le Redstreak, Michael Jackson est un coupable relâché à tort : il est (Wacko) « Jacko », le double monstrueux qui s’esquive face à nous, ce qui, nous disent les titres, donne lieu à quelques réactions indignées (rapportées en page trois du journal).

      

Ainsi donc nous le voyons, les perceptions des publics et des médias sur la figure Michael Jackson ont pu évoluer dans un sens négatif : il est incontestablement devenu un personnage sulfureux qui donne à voir par son corps la hideur morale supposée qui l’habite. Le monstre peut se donner comme un support projectif apte à recevoir les affects réprimés et apte à être investi comme un signifiant-écran. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Michael Jackson se voit ainsi chargé, à la manière d’un bouc émissaire, d’incarner les désirs inavouables des publics ainsi que les interdits sociaux. Le monstre « renvoie en miroir les fantasmes et désirs interdits, personnifie les peurs et les angoisses, ou constitue le résultat de conduites déviantes »[3].

Plus encore et d’un point de vue sociétal, « le monstre peut se comprendre comme une victime émissaire, celle qui assume le mal ou les pêchés »[4].  Il est alors tout à fait possible d’envisager que le chanteur ait été peu à peu chargé d’incarner l’interdit de l’inceste et le tabou de la pédophilie. En devenant monstrueux, il a simplement autorisé ses publics à projeter sur lui « le mal » qui les habite et à le voir comme un diable-monstrueux. « Le monstre, c’est le diable dans son accoutrement de diable et qui porte son âme sur sa figure. Le monstre-diable s’oppose au diable-tentateur, prince de ce monde ou grand seigneur, diable fourbe qui se cache sous des apparences trompeuses. Le diable aime à se déguiser ; en monstre, il est alors facile à démasquer, mais, en séducteur, il lui est aisé de nous abuser »[5]. Or c’est bien encore cette figure diabolique aux deux visages que Michael Jackson incarne : du fait de son idéalité, il est le diable tentateur et séduisant qui promeut l’illusion mensongère ; du fait de sa monstruosité, il est le monstre-diable qui se révèle au grand jour.

      


[1] Nous faisons ici référence aux scandales que provoque les clips Black or white et They don’t care about us de l’album Dangerous

[2] Ce magazine est un supplément gratuit du Chicago Sun-Times.

[3] C. Morel.- Dictionnaire des symboles, mythes et croyances.- Montréal, L’archipel, 2005, p. 615.

[4] F.-C. Caland, art. cit., p. 249.

[5] M.-J. Wolff-Quenot, op. cit., p. 169.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Vous êtes vraiment nuls de vous acharner sur la pédophilie de Michael Jackson qui était plutôt innocente. Quand un mec comme Charles Trenet est mort personne n'a parlé du fait qu'il était allé en prison pour avoir sodomisé des enfants lui !!! Alors ne criez pas avec les loups : si les américains ont été assez cons pour s'acharner sur Michael, ce n'est pas la peine d'en faire autant !
Répondre
A
<br /> <br /> A te lire je m'interroge. As tu lu l'article ou t'es tu simplement arrêté au titre?<br /> C'est inquiétant d'imaginer que l'on puisse interpréter cet article de cette manière... Je ne fais qu'analyser, comme toute bonne sémiologue, le discours des médias ( et en l'occurence ici<br /> j'analyse deux unes qui montrent une image négative et sombre du chanteur).<br />  <br /> As tu compris l'objet de ce blog? il s'agit de restituer quelques extraits d'une étude scientifique en sémiologie des médias. Dans cette thèse j'étudie la manière dont les médias parlent du<br /> chanteur, et comment, précisément la "monstruosité" physique du chanteur a pu entrainer les accusations de pédophilie.<br /> <br /> Bien à toi. <br /> <br /> <br /> <br />
J
Bonjour, fort riche ce tout nouveau blog. J'ai hâte d'en lire plus...*
Répondre
A
<br /> Merci Johanne! Bienvenue sur mon blog alors! à bientôt!<br /> <br /> <br />
S
Ravi de t'avoir dans ma communauté!!! je vais lire tes articles, ils semblent très intéressants!!!!
Répondre
A
<br /> Merci beaucoup. Tout le plaisir est pour moi!<br /> <br /> <br />