Michael Jackson : une figure pour l'identification (2) : Provenir d'Ailleurs et de Nulle part (Analyse de Brace Yourself)

Publié le par Amélie Dalmazzo

Cet article est la suite de  :  Michael Jackson : une figure pour l'identification (1) : être d'ici et de Partout (analyse de Black Or White)

Paradoxalement, tandis qu’il habite chaque espace de la planète, que son essence s’incarne simultanément en chaque lieu, Michael Jackson se présente aussi comme « l’étranger ». Étranger extraordinaire, surhumain venant de l’au-delà, « extraterrestre » même. Ainsi, conjointement à sa capacité à être toujours « d’ici », il est aussi toujours « d’ailleurs ». Plus encore, c’est même toujours de « nulle part » qu’il semble arriver. En cela, Michael Jackson remplit une des conditions nécessaire aux figures charismatiques : elles doivent incarner l’idéal collectif.

Or précisément, l’idéal ne peut être qu’inaccessible : il est « le lointain » qui motive l’espérance, l’élévation. En ce sens, les figures charismatiques ont à faire preuve de leur supériorité : elles doivent permettre une identification verticale des individus qui composent leur public, car ce sont elles qui permettront à la communauté de fédérer ses membres et de trouver l’unité. A l’instar de Michael Jackson, elles ne sauraient se contenter de permettre seulement l’identification horizontale.

2. Provenir d'Ailleurs et de Nulle part 

    

Afin de rendre compte de la façon dont Michael Jackson met en œuvre cette stratégie, nous souhaitons présenter ici l’analyse sémiologique de la séquence d’ouverture du teaser Brace Yourself. Ce teaser de trois minutes quinze, réalisé par Bob Jenkins en 1991 est diffusé comme préambule à l’entrée sur scène du chanteur lors des concerts de sa tournée de 1992-1993 Dangerous Tour. Il est également ajouté au double DVD HIStory I et II, étant ainsi reconnu comme un objet essentiel dans le culte du chanteur et de son œuvre. Il se présente comme un élément promotionnel fort, contribuant à l’élaboration de sa mythologie et de son charisme, et est particulièrement révélateur de la stratégie mise en place par Michael Jackson et son staff pour signifier la supériorité incontestable du chanteur. En effet, dans ce teaser, et particulièrement dans la séquence d’ouverture, Michael Jackson est représenté comme une « entité divine » qui, tandis qu’elle vit dans un autre monde, vient soudainement prendre corps devant son public fasciné. Cette vidéo est une sorte de kaleidoscope de l’histoire de Michael Jackson[1] mise en scène sur le titre O Fortuna tiré du célèbre opéra Carmina Burana de Carl Orff.

    

Les premières images de cette vidéo présentent le chanteur à contre jour, ne laissant deviner que sa silhouette. A ce stade donc, Michael Jackson n’est encore qu’une ombre, immatérielle qui semble vivre dans un monde de lumière. Il est un esprit qui n’a pas véritablement de corps et qui réside dans l’au delà. Cette signification est confirmée par la mise en scène d’un large rassemblement, orchestré comme une messe, une communion, une prière collective. En effet, les fans sont rassemblés dans une salle obscure, brandissant la flamme d’un briquet ou d’une bougie. Les voix célestes de Carmina Burana résonnent. 

Comme lors d’une séance de spiritisme ou lors d’un rituel d’incantation magique destiné à invoquer un esprit, la salle semble accomplir une transe collective. La communion a lieu, les énergies individuelles se sont jointes, l’appel est formulé, l’ « esprit Michael Jackson » est appelé par les spectateurs à se manifester dans leur réalité présente : sur la scène où se déroulera le concert. De son royaume céleste, Michael Jackson entend l’appel du public. Ce public précisément – public figuré dans le teaser, mais surtout public réel venu assister au concert – rugit d’un désir ardent de le voir apparaître sur scène.


Alors le chanteur sort de son royaume, ouvre le « sas spatio-temporel » qui sépare ces deux espaces, ces deux réalités. Escorté, il prend corps et débarque dans les ténèbres du monde terrestre. Alors que son arrivée est proche, mais avant qu’il apparaisse sous les yeux ébahis de ses fidèles, Michael Jackson doit encore faire le voyage jusqu’ici. Ayant pris corps, il faut maintenant qu’il emprunte un moyen de transport terrestre : l’avion. C’est ainsi par les airs qu’il arrivera, car ne l’oublions pas, Michael Jackson descend tout simplement du ciel.


Aucun doute sur cela, Michael Jackson est bien cet être venu d’ailleurs. Cette entité qui n’appartient pas à notre réalité. Car précisément Michael Jackson vit au delà du corps. Il s’avère être cet esprit supérieur et immortel qui ne fait qu’emprunter un corps de passage, qui va s’incarner dans un corps charnel durant son séjour sur Terre, mais dont il s’affranchira aussi vite à la fin de la rencontre.

Plus encore, c’est en réalité dans l’image que vit Michael Jackson. Car c’est à travers elle qu’il se donne à aimer. L’image constitue un espace qui se tient en dehors de la réalité du monde physique, un lieu de passage précisément entre réalité et imaginaire, entre l’intériorité de celui qui la contemple et l’extériorité de la réalité qu’elle représente.

La figure publique et médiatique Michael Jackson, créature engendrée par un artiste bien réel, est bel et bien un personnage, le héros d’un récit qui se raconte par l’image et le son. Lorsqu’il sort de ce « nulle part », de ce néant d’où la matérialité ne saurait exister, c’est bien de l’image elle-même qu’il surgit. C’est bien de l’image qu’il soustrait son personnage, pour le donner à ses fans, par le corps, sur une scène bien réelle, dans leur « ici »matériel. Une figure charismatique se doit d’être autant un individu réel vivant dans un monde imaginaire, qu’un personnage imaginaire se donnant à aimer dans le réel. Elle est une image qui doit savoir surgir dans la réalité, prendre corps. Mais il est aussi un être réel qui doit savoir se transmuer en image.




[1] Le second titre de Brace Yourself est A kaleidoscope of Michael Jackson HIStory.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article