Le charisme en politique - Promesses de changement (1/4)

Publié le par Amélie Dalmazzo


Lors de l’élection présidentielle, la communauté est appelée à élire un leader qui représentera ses intérêts, mais aussi qui saura incarner l’identité collective. L’identité collective représente, au delà des croyances et des valeurs fédératrices sur lesquelles elle s’appuie, un enjeu essentiel et vital pour les communautés. En effet, en ce qu’elle se donne en partage aux différents membres du groupe, l’identité collective assure à la fois le rassemblement des individus, la conservation de l’unité de la communauté, et le maintien de son existence à travers le temps. Les figures du leadership qui se succèdent à travers l’histoire ont ainsi pour mission de perpétrer le maintien de cette identité, tout en permettant au groupe d’assimiler ses évolutions à travers les époques et les générations.

 
Les identités collectives sont toujours en devenir, à l’image de l’être humain dans sa singularité. Soumises à l’évolution des mœurs et aux influences extérieures, les communautés tentent sans cesse de se redéfinir. Or se redéfinir c’est obligatoirement changer, évoluer. Ainsi, c’est en changeant, en se réorganisant continuellement, que les communautés peuvent perdurer dans le temps et survivre. Et pour ce faire, les communautés ont besoin d’un leader apte à imprimer une nouvelle direction, d’un leader qui saura suffisamment faire le consensus pour que ce changement soit accepté et suivi par la majorité. Et c’est précisément ce rôle qu’entendent remplir chacun des candidats à l’élection de 2007. Il est clair que dans cette campagne, chacun promet de « moderniser » la politique, de mettre en oeuvre une nouvelle manière de diriger, plus en phase avec les évolutions sociales de notre société.
 
  •  La rupture de Nicolas Sarkozy

 

La campagne de Nicolas Sarkozy ne fait pas exception et le changement apparaît comme l’enjeu primordial de sa communication. En effet, sa promesse d’opérer une « Rupture »[1] est particulièrement évocatrice et c’est autour de ce terme qu’il va bâtir tout le reste de sa stratégie.

 

Kiro, Le canard enchainé


Avec le candidat c’est sûr, il y aura de la réforme. Mais plus encore, avec Sarkozy, il y aura clairement « un avant » et « un après », car s’il est élu, nous promet-il, c’est «  La France d’Après »[2] qui verra le jour. Cette « France d’Après », c’est une France moderne particulièrement bien adaptée à ce que le sociologue Zigmund Bauman nomme « la société de consommateurs »[3] - société individualiste dans laquelle chaque individu est désigné comme responsable de son propre succès, mais aussi de ses propres échecs. Fin de l’état providence, qui installe le citoyen dans un rapport de « dépendance haïe »[4] aux aides sociales, et naissance d’une nouvelle ère, celle de l’avènement d’un état gendarme veillant au maintient de l’ordre social. C’est ainsi un changement radical que promet le candidat lorsqu’il parle de « Rupture ».

Détournement de l'affiche du candidat Nicolas Sarkozy,
diffusée sur le site Sarkopitheque
 
Le mot "Rupture" d’ailleurs, en ce qu’il promet de faire « table rase du passé» laisse craindre à certains une brisure violente dans « le continuum » de l’identité française, la perte du lien interindividuel si nécessaire à la cohésion de la communauté. Ainsi la « Rupture » de Sarkozy déchaîne les passions et ses opposants discutent inlassablement de l’impact d’une politique qui semble vouloir « dresser les français les uns contre les autres »[5]. Certes, la rupture inquiète. C’est en tout cas ce qui ressort des groupes de discussion que nous avons étudié.

Lucie [6] par exemple, juge le candidat comme un leader « trop brutal »[7]. Ce sont précisément ses « mots »[8] qui effrayent, explique la jeune fille. Ils révèlent, comme le dit Marianne[9], le « manichéisme »[10] du candidat. Plus encore, selon Mathieu[11], le candidat fait même figure d’un homme « intolérant »[12]. Le mot « rupture », préféré par le candidat à celui de « changement », comme tant d’autres formules radicales dont il use[13], renvoie donc à ses détracteurs, mais aussi à ses soutiens, l’image d’un homme « agressif »[14], « coléreux »[15], « autoritaire »[16], et « rigide »[17]. Pire encore, il leur laisse envisager le candidat comme un extrémiste[18], « despotique »[19], œuvrant dans la « démesure »[20], « manquant de self-control »[21] et se profilant comme une menace « pour la démocratie »[22]. Sarkozy, comme le dit Anne-Claire donne « l’impression qu’il cache un jeu dangereux derrière son visage »[23]. La rupture de Nicolas Sarkozy, évoque des « solutions au Karsher »[24] - coup de karsher que le candidat entend donner en tout cas, certes sur la banlieue explosive, mais aussi sur la France héritée de Mai 68.[25]

 
 
  • Le changement de regard de Ségolène Royal

     

Ségolène Royal de son côté, s’évertue à clamer le « Changement ». Point de rupture pour celle qui veut, semble t’il, accompagner la France dans la mutation qui l’attend. Ainsi pour la candidate, c’est surtout d’un changement de regard qu’il s’agit : celui d’une femme. En effet, la féminité est sans aucun doute l’atout maître de la candidate, et la base de sa stratégie de démarquage minimal[26]. C’est sur ce thème qu’elle capitalise pour séduire les militants lors des primaires du PS : elle s’affiche sous le slogan « Pour nous, c’est ELLE »[27], et évolue, au cours de ses meetings, dans un décor composé d’un dégradé de rose[28].

 


Et quand, lors de l’une des confrontations télévisées des primaires, le journaliste lui demande ce qui la différencie de ses concurrents Fabius et Strauss-Khan, elle rigole et se targue de cette « différence particulièrement évidente »Cette « féminitude », les publics la perçoivent clairement. Sur l’ensemble des panels sondés, tous reconnaissent qu’il s’agit de son argument de campagne favori, et nombreux sont ceux, même parmi ceux qui la soutiennent, qui lui reprochent de trop en jouer. Claudie[30], pourtant plutôt sensible aux idées de gauche, critique ainsi « son insistance insupportable sur son identité de femme et de mère »[31], qu’elle perçoit plus comme une « instrumentalisation stratégique »[32] que comme une disposition naturelle. Et il est vrai que cette « stratégie de la féminité » se décline sur tous les pans de sa campagne.



La candidate met en avant des qualités que l’on attribue essentiellement aux femmes : écoute attentive, sex-appeal affiché, et proximité revendiquée. Mélange peu subtil de la femme, de la mère, de l’amante, de la sainte, la candidate veut devenir une icône, un symbole de ce que Claudie perçoit comme le «
féminisme moderne »[33]


Marianne contemporaine qui veut évoquer l’indépendance, la lutte pour la liberté - elle n’est pas mariée avec François Hollande et montre clairement qu’elle compte agir selon ses propres convictions[34] ; Sainte immaculée – vêtue de blanc sur la muraille de Chine[35], elle rayonne au milieu de ses homologues étrangers aux costumes grisâtres et aux méthodes brutales ; mère disponible et attentive qui se montre dans Closer[36], en voyage privé avec ses filles, tandis que ses adversaires se livrent une guerre sans merci. Ségolène Royal, donc prône un nouveau type de politique qui serait une « politique de femme ».

Très clairement, une femme qui dirige en France, cela n’a jamais existé, et bien que cette stratégie de la féminité lui soit souvent reprochée, c’est aussi, paradoxalement l’une des qualités qu’on lui reconnaît le plus souvent
[37]. La candidate, par ce seul aspect de sa personne, incarne alors modernité et changement.

 

     Segolène Royal lors de son voyage en Chine, en janvier 2007


Par ailleurs, pour être jugée apte à incarner la nouvelle génération, la candidate choisi très clairement la jeunesse comme l’un de ses segments privilégiés. Ainsi elle multiplie les « références de jeunes », comme lorsqu’elle cite la chanteuse de R’n’B Diam’s[38] ou qu’elle emprunte la musique d’un des succès[39] de Kmaro, pour l’un de ses meeting. Par son langage aussi, Royal tente de séduire la nouvelle génération : lors d’une séance de dédicace, elle interpelle des jeunes gens par la formule suivante : « Ca va les Djeun’s ? », et lors de son voyage en Chine, elle invente, comme la classe d’âge à laquelle elle s’adresse, un néologisme que les médias lui moqueront : la fameuse « bravitude »[40]


La modernité pour Royal, elle l’incarne donc très bien. Femme, Mère, People, Amante-concubine plutôt qu’épouse, working girl qui s’assume… elle a tout de la nouvelle génération qu’elle veut représenter.

[1] La formule de la « Rupture » est une formule à laquelle le candidat s’associe largement. Cette formule particulièrement forte est ainsi reprise continuellement tout au long de sa campagne.

[2] Slogan de campagne inauguré par le candidat en février 2006, et utilisé dans bon nombre de ses meetings.

[3] Zygmunt Bauman – article « Moi, je. Le sarkozysme existe-t-il? » - dans Le courrier international – N°884 du 11 au 17 octobre 2007

[4] Ibid.

[5] Ségolène Royal notamment accuse son opposant de vouloir « dresser les français les uns contre les autres », lors d’un meeting au Palais des Sports de Tours donné fin mars, après les affrontements qui se sont déroulés à la Gare du Nord de Paris.  Par ailleurs, selon un sondage IFOP/M6 daté du 25 février 2007 – 57% des personnes interrogées jugent que Nicolas Sarkozy « divise les français »

[6] S4 JF, sympathisante de gauche n’ayant aucun favori

[7] S4 JF, sympathisante de gauche n’ayant aucun favori

[8] S4 JF, sympathisante de gauche n’ayant aucun favori

[9] S3 CSP+, partisan du centre droite

[10] S3 CSP+ partisan du centre droite et S4 CSP+ sympathisant du centre hésitant encore mais ayant pour favori Bayrou

[11] S4 CSP+, électeur indécis ayant une préférence pour Bayrou

[12] S4 CSP+ - indécis, préférant , à priori, François Bayrou

[13] Sarkozy parle par exemple de « révolution économique » dans l’émission Riposte France 5 - date

[14] S6 CSP+, S7 CSP+ partisan de gauche ; S1 CSP- : partisan de droite ; S3 JF ( Sylvie) partisane de Bayrou

[15] S2 CSP- Soutien de Nicolas Sarkozy

[16] S4 CSP+ et S3 CSP -, partisans du centre ayant une préférence pour Bayrou ; S1 CSP – et S2 JH, partisans de Nicolas Sarkozy , S3 CSP -, sympathisant de gauche ayant une préférence pour Bayrou ; S5 CSP-, sympathisant de gauche avec une préfernce pour Laguillier . Par ailleurs, selon un sondage IFOP/M6 daté du 25 Février 2007 86% de la population interrogée juge Nicolas Sarkozy « autoritaire »

[17] S1 JF – soutien de Nicolas Sarkozy

[18] S4 CSP+, sympathisant du centre hésitant encore mais ayant pour favori Bayrou, dit du candidat qu’il est « extrême et hypocrite » ; S5 CSP-, sympathisant de gauche, partisan de Laguillier dit qu’il paraît « limite dictateur » ; S3 CSP-, sympathisant du centre et de Bayrou, trouve qu’il  « semble cacher une âme d’extrême droite » ; S2 JF, sympathisante de gauche et hésitant entre Voynet et Royal, dénonce sa « radicalisation  pour gagner les voies de Le Pen » ;

[19] S5 CSP+ , sympathisant de gauche, ayant pour candidat favori Royal et S6 CSP+, sympathisant de gauche hésitant entre Royal et Bayrou

[20] S3 CSP+, sympathisante de centre droite et partisane de Bayrou

[21] S2 CSP- Soutien de Nicolas Sarkozy

[22] S3 JF, sympathisante de gauche et ayant Bayrou pour favori, trouve que « la démocratie semble en danger avec lui »

[23] S3 CSP-, sympathisante du centre, partisane de Bayrou

[24] S5 CSP+, sympathisant de gauche pensant voter pour Royal

[25] Lors du meeting du 29 avril 2007, Meeting de l’entre deux tours au Palais Omnisports de Bercy, à Paris, Nicolas Sarkozy organise en Grand Messe la mise à mort de Mai 68.

[26] Philippe J. MAREEK –. La communication et le Marketing de l’homme politique. - Litec, 2007.

[27] Affiche « Pour nous c’est elle »

[28] Meeting de Pré-campagne « Pour Nous, c’est Elle »

[30] S2 JF, sympathisante de gauche, hésitant entre Voynet et Royal

[31] S2 JF, sympathisante de gauche, hésitant entre Voynet et Royal

[32] S2 JF idem

[33] S2 JF idem

[34] Cette indépendance lui sera longuement reproché par son parti et par les médias. Mais les individus composant nos différents panels lui reconnaissent souvent cette qualité. Pour S6CSP+ et S7 CSP+ plutot partisan de gauche elle « donne l’impression de savoir agir suivant ses convictions », semble « savoir ce qu’elle veut », « indépendante » ; quelques partisans du camp adverse lui reconnaissent le mérite d’avoir « réussi à s’imposer parmi les ténor de son parti » (JH1 – partisan sarko)

[35] La candidate fait un voyage en Chine début janvier 2007 où elle visite la grande muraille de Chine entourée d’un cortège de journalistes.

[36] Article diffusé à la fin de l’année 2006

[37] S4 JF indécise, tout comme S2CSP+ pro sarkozyste, lui reconnaissent comme une qualité le fait « d’être une femme », S6 CSP+ traditionnellement de gauche mais indécis apprécie chez elle « le fait d’être une femme, enfin une ouverture, ça change »  ; S4CSP+, indécis plutôt centriste lui reconnaît le mérite d’avoir « été choisie parmi un groupe d’hommes » ; S2JH, apolitique dit d’elle qu’elle « a réussi à s’imposer parmi les ténor de son parti » ; S2 JF approuve son « feminisme moderne » même si simultanément elle lui reproche son « instrumentalisation stratégique de son statut de femme et de mère » ; S3 CSP+ (favori Bayrou) approuve « la feministe, la mère »

[38] Dans la retranscription de son discours donné aux journaliste au meeting de Villepinte apparaît le texte suivant : « Je veux une France qui entende ce que lui dit Diam's dans "Ma France à moi" : "Il ne faut pas croire qu'on la déteste, mais elle nous ment (...) Ma France à moi leur tiendra tête jusqu'à ce qu'ils nous respectent". » Ces phrases ne seront pas prononcées lors du discours mais la candidate donnera une interview dans laquelle elle tiendra des propos quasi similaires.

[39] Dans certains meeting de la candidate, la chanson de K-maro « Femme like u », dont le texte a été modifié est diffusée

[40] lors de son voyage en chine, Ségolène Royal invente un néologisme qui lui sera particulièrement moqué par les médias. Elle dit : « Qui n'est pas venu sur la grande muraille n'est pas brave. Et qui vient sur la grande muraille conquiert la "Bravitude". »

Publié dans Charisme en Politique

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