Le charisme en politique - Faire l'unité et rassembler (4/4)

Publié le par Amélie Dalmazzo

CET ARTICLE FAIT SUITE A: 

 PARTIE I (promesse de changement) PARTIE II (STRATEGIE DE CONTINUITE) ; PARTIE III (incarner l'IDEAL)

 

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Un leader doit savoir faire le consensus pour maintenir la cohésion du groupe. Ainsi, les candidats à l’élection mettent en scène, en un premier temps, le rassemblement du parti lui-même, et en un second temps, ils signifient l’ouverture vers l’électorat de leurs divers adversaires.

Pour Nicolas Sarkozy, la situation est évidemment problématique. Le candidat crée la polémique, donne l’image d’un homme qui entraînera la division et l’opposition au sein des français. En outre, au début de l’année 2007, son parti est particulièrement divisé. Rappelons que, dans le but de s’affranchir de toute responsabilité vis-à-vis d’un bilan défavorable, le candidat a d’abord dû se dissocier de Jacques Chirac et du gouvernement Villepin: lors de sa pré-campagne, le candidat critique sans ménagement les piliers de l’UMP[1] et les détenteurs du pouvoir.

 


Ripostes - Nicolas Sarkozy
Le flingage de ses collègues de l'UMP

 

Ainsi durant les années de son ascension, le candidat pratique un jeu politique proche de la stratégie populiste. Le leader populiste, tel que le définit Alexandre Dorna, interpelle le pouvoir en place par la contestation, la revendication. Il utilise le discours de deux façons : « comme une demande de délégitimisation du pouvoir en place (…) ou comme un moyen de légitimation d’une partie de l’échiquier politique. »[2]

 Plus encore, le leader populiste se veut être la voix du peuple. Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas[3]. Il bannit la langue de bois pour toujours se montrer sincère, et s’il peut changer d’opinion, c’est toujours avec la même sincérité (feinte ou réelle) qu’il la défend. Or chacun reconnaît la sincérité et la franchise de Nicolas Sarkozy, car il aime dire les choses « franchement »[4] et veut « dire la vérité »[5], « être très honnête avec nous »[6]. Pour ses détracteurs comme pour ses soutiens, il est, un homme au « franc parler »[7].

Par ailleurs, le naturel du leader populiste lui vient de ce qu’il est généralement un « self-made man. (…), quelqu’un qui émerge (apparemment) de nulle part, sans appareil structuré ni doctrine élaborée »[8]. Même si dans les faits, le candidat pratique la politique au sein de partis institutionnels, et qu’il ne provient aucunement d’un milieu modeste, il se plait à se montrer comme l’archétype de sa politique de l’effort et du mérite. Sa place, aime-t-il à clamer, il ne la doit qu'à son travail acharné, lui le « le petit Français au sang mêlé »[9], obligé dit-il de « faire des petits boulots »[10] pour payer ses études.

Mais Nicolas Sarkozy sait que pour être élu il va devoir rassembler largement son camp et donner l’image d’un parti unifié. C’est pourquoi, dès sa nomination officielle, il ne peut se dispenser d’un discours flatteur rendant hommage à ces mêmes figures tant critiquées de l’UMP. En se jouant du refrain : « J’ai changé »[11] - sous-entendu « J’ai pas été sympa avec vous, mais maintenant je ne suis plus le même homme » - il appelle à la réconciliation si nécessaire de son camp.

C’est au Congrès de l’UMP qu’il envoie un signal fort de rassemblement et d’ouverture. La scénographie est tout à fait révélatrice de cette stratégie.  Le candidat y apparaît comme le trait d’union opérant un lien entre le camp bleu, signifiant la droite (le bleu est la couleur de l’UMP), et le camp rouge, couleur symbolique de la gauche. La disposition de son pupitre (le candidat se tient dans la partie blanche – donc neutre – et centrale) crée le lien entre les deux opposés.


La forme triangulaire de cette tribune, la manière dont le slogan apparaît derrière le candidat semble former comme un signe d’égalité, mettant ainsi en relation les camps adverses, et les réunissant autour de sa personne. Enfin, à la fin de son allocution, les représentants du parti sont invités à monter sur scène, investissant l’escalier qui séparait le peuple du leader. L’effet produit par cette mise en scène est alors fulgurant : la séparation entre lui et la foule disparaît, pour ne plus former qu’une gigantesque entité. L’unité est alors incontestable, et le rassemblement déborde même des limites de l’écran. Cette capacité à rassembler, n’échappe pas aux regards des citoyens : sur 20 personnes interrogées, 15 pensent que son parti est rassemblé derrière Nicolas Sarkozy et 16 pensent qu’il est capable de rassembler les Français.

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Le rassemblement selon Nicolas Sarkozy - Congrès de l'UMP - Porte de Versailles 

Du côté de Ségolène Royal, la question du rassemblement de son camp et de l’ouverture à d’autres électorats pose un autre problème. En ce qui concerne le rassemblement du PS, aucun signal fort n’est envoyé. Pas de grande messe réunissant toute la famille autour de la candidate Royal. Les dissensions nées lors des primaires entre les adversaires Strauss-Kahn, Fabius et Royal n’en finissent plus d’alimenter les conversations [12].

Ainsi, sur les 20 personnes composant notre panel, seules 5 pensent que Ségolène Royal sait rassembler son camp[13]. Les ruptures fracassantes entre le PS et quelques-unes de ses figures emblématiques[14], les critiques ouvertes et répétées de quelques « éléphants » à l’encontre de la candidate, et le désaccord manifeste entre ses propositions et le programme défini par le parti, donnent au public l’image d’un groupement divisé où règne la discorde. Plus encore, le PS peine à mettre en scène un rassemblement capable de concurrencer les 80000 fidèles de Nicolas Sarkozy, venus en masse soutenir sa candidature dès le lancement de la campagne. Il faut attendre le meeting du Stade Charlety pour qu’un signal fort soit lancé. Mais cela sans doute, intervient un peu tard.


Enfin, la stratégie d’ouverture de la candidate est particulièrement complexe à mettre en place. Après l’échec cuisant du PS en 2002, la candidate parvient difficilement à séduire de nouveaux segments de la population tout en maintenant la cohérence de sa stratégie. Quand elle fait quelques références à la gauche radicale, la candidate se voit immédiatement reprocher un certain « archaïsme idéologique»[15] et dès qu’elle lance des appels vers le centre, on juge que sa politique est « autant à droite que la droite elle-même »[16].

Il paraît ainsi compliqué pour elle de se fixer une ligne de conduite : elle hésite entre séduire les électeurs de la gauche radicale ou ceux de la gauche démocrate, oubliant au passage de s’assurer le soutien des électeurs socialistes eux-mêmes. Cette difficulté à se positionner sur l’échiquier politique, bien que résultant fondamentalement d’une difficulté du Parti Socialiste à définir lui-même son identité, a particulièrement retenti sur l’image de la candidate.

De nombreux sympathisants socialistes ont reproché à la candidate d’être « un peu trop girouette au regard des uns et des autres »[17]. Ségolène Royal est ainsi jugée instable. Elodie, sympathisante de gauche, lui reproche par exemple son « manque de confiance en elle »[18]. Sa démarche est jugée incertaine, « hésitante »[19], « opportuniste »[20], voire « parfois floue »[21], ou carrément « trop changeante »[22].

Ce faisant, tandis qu’elle a déjà du mal à incarner la puissance et donc à s’octroyer la « carrure » attendue d’un président, Ségolène Royal peine à trouver sa place auprès des segments cibles qu’elle souhaite conquérir ou conserver. Ainsi, la candidate ne parvient-elle pas réellement à occuper un créneau viable dans lequel elle pourrait être indéfectible. Les conditions nécessaires pour faire d’elle un support stable et inébranlable de nos idéaux ne sont donc pas remplies. La stratégie de Ségolène Royal ne permet ni l’identification verticale du plus grand nombre, ni son idéalisation.

 

Conclusion

Au cours de la campagne électorale de 2007, les stratégies de communication de Nicolas Sarkozy ont semblées plus efficaces – car plus globales et cohérentes – que celles de sa concurrente du Parti Socialiste. Il a su promettre aux publics de raviver l’identité nationale, en dessinant les contours d’un projet collectif clairement définit. Il a su signifier sa désirabilité    en montrant l’ampleur de son rassemblement.  a suggéré son omnipotence en se montrant tel un conquérant parvenu, à force de travail, à gravir les échelons de la hiérarchie. Enfin, il a surtout réussi à concilier les exigences paradoxales des publics : incarner le changement tout en préservant le sentiment de continuité des citoyens,  se montrer à la fois proche et inaccessible, être un guide conduisant les français jusqu’à l’autonomie.

Ségolène Royal a éprouvé des difficultés à faire la cohérence entre tous ces enjeux contradictoires. En voulant trop donner la parole aux français et en adoptant trop longuement une posture d’écoute, elle a  conduit les publics à croire qu’elle ne proposait « aucune solution concrète ». En voulant s’assimiler à des icônes froides et désincarnées, elle a déployé une généalogie trop superficielle et peu efficace pour susciter l’identification verticale. De même, la candidate n’a pas pu profiter du soutien massif de ses pairs du Parti Socialiste : elle n’a ainsi pas pu faire la preuve de sa capacité de rassemblement. Enfin, et cela n’est pas des moindres, elle a sans cesse accusé un retard sur son adversaire. Par exemple, tandis que Nicolas Sarkozy prend la parole quelques minutes seulement après la divulgation officielle des résultats du premier tour, il faut attendre deux heures et demie pour entendre le discours de la candidate. Sans doute cette désorganisation tient au fait que sa campagne de popularité n’a véritablement débuté qu’au cours de l’été 2006, tandis que son adversaire principal Nicolas Sarkozy mettait en œuvre son plan de conquête depuis cinq années au moins.


[1] Il dit d’eux qu’ils sont « complexés d’être de droite », « pas assez fermes par rapport à leurs valeurs » et « trop rigides vis à vis des nouvelles idées » (Nicolas Sarkozy dans « Ripostes » – France 5 diffusé le 11 décembre 2006). Plus encore, quand les journalistes ou adversaires lui signifient qu’il a des responsabilités à prendre quant à l’état dans lequel son parti laisse la France à l’issue de cinq années d’un gouvernement de droite, il répond qu’il n’était pas le décisionnaire de la politique qu’il appliquait, qu’il n’était pas totalement libre de ses actions. Et par cela il renvoie chacun de nous à la fameuse phrase que Jacques Chirac avait eu a son encontre, lors de l’interview télévisée du 14 juillet 2005 : « C’est moi qui décide, et lui il exécute » (Jacques Chirac dans son interview télévisée sur France 2 le 14 juillet 2005, répond par cette phrase à la question posée par la journaliste sur la place d’un Nicolas Sarkozy au gouvernement, alors omniprésent dans les médias)

[2] Alexandre DORNA, op.cit., p 77.

[3] C’est d’ailleurs, en ces termes exacts que Sophie, partisane du candidat (S1 JF), évoque Nicolas Sarkozy.

[4] Nicolas Sarkozy dans « J’ai une question à vous poser » TF1 le 5 février 2007

[5] Nicolas Sarkozy « J’ai une question à vous poser » TF1 5 février 2007

[6] Nicolas Sarkozy « J’ai une question à vous poser », TF1, 5 février 2007

[7] Sur l’ensemble des panels, l’une des qualités la plus souvent attribuée à Nicolas Sarkozy est « son franc parler » (par ses soutiens : S1JF, S1 CSP+,S1 JH… mais aussi par ceux qui ne le soutiennent pas : S2 JF, S7 CSP+).

[8] Ibid. p 74

[9] Nicolas Sarkozy au congrès de l’UMP le 14 janvier 2007

[10] En 1973, Nicolas Sarkozy vient d’avoir son bac. Son grand père, par lequel il a été élevé, meurt, et son père, qui lui versait une pension alimentaire, cesse d’apporter son soutien financier. Le candidat explique alors à sa biographe que pour aider sa mère et se payer ses études, il multiplie alors les petits boulots. Il dit : « la peur du lendemain, sauf quand elle paralyse, pousse à travailler plus que les autres (…) Pour s’en tirer, il faut balayer les obstacles, s’acharner. » source : letudiant.fr, dossier : « présidentielle : la jeunesse des finalistes ». Article de Nathalie Tran. Rappelons tout de même que, d’après sa propre mère, le candidat a été élevé par son grand père chirurgien et sa mère, elle même avocate. Selon elle, à cette époque, il disposait pourtant d’un hôtel particulier quand il avait 18 ans. (source : 90 minutes, CANAL+ )

[11] Nicolas Sarkozy répète plusieurs fois cette formule lors de son discours d’investiture le 14 janvier 2007

[12] S2 JF, Sympathisante de gauche indécise, reproche à la candidate « ses difficultés à travailler en équipe » ; S2 CSP+, sympathisant de droite et de Sarkozy, pense qu’elle « a volé sa candidature au détriment de Strauss Kahn » ; S3 JH, sympathisant de gauche encore indécis dit qu’elle « est seule dans sa quête qui n’aboutira jamais »

[13] Voir tableau des réponses à la question 36. A titre de comparaison, 15 sujets pensent que Sarkozy sait rassembler son parti derrière lui, contre 8 pour François Bayrou.

[14] comme Eric Besson,  Jacques Séguéla ou Roger Hanin

[15] Notamment dans l’article d’ André Grjebine - Ségolène Royal: la communication comme projet.- Liberation.fr – 14 mars 2007

[16] S3 JH, sympathisant de gauche, lui reproche par exemple « sa tendance ‘à droite’ »

[17] S6 CSP+, sympathisant de gauche qui hésite entre Royal et Bayrou

[18] S3 CSP-, sympathisante de Bayrou et S6 CSP-,  sympathisante de gauche indécis hésitante entre Bayrou et Besancenot

[19] S2 JH , ne revendique aucune préférence politique mais pense voter pour Sarkozy

[20] S2 JH , ne revendique aucune préférence politique mais pense voter pour Sarkozy

[21] S6 CSP+, sympathisant de gauche, hésitant entre Royal et Bayrou

[22] S6 CSP-, sympathisant de gauche hésitant entre Besancenot et Bayrou

Publié dans Charisme en Politique

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Commenter cet article
C
<br /> Tes articles sont très pertinent en cette période pré-électorale, pour permettre d'analyser les différentes annonces des candidats.<br /> <br /> <br /> Merci<br />
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A
<br /> <br /> Merci pour ton message! =) a bientot!<br /> <br /> <br /> <br />